« Newport me paroissoit ressembler à un tombeau, où des squelettes vivans se disputoient quelques herbes. Il me rappela la peinture faite de l’Egypte , par M. Volney. Il sembloit voir une ville dont la peste et le feu avoient dévoré les habitans et les maisons.
Vous en aurez vous-même une image exacte, en vous rappelant, mon ami, l’impression que fit sur nous la vue de Liège.
Rappelez-vous cette foule de mendians, qui se succédoient sur la route pour nous importuner; cet amas irrégulier de maisons gothiques, enfumées, délabrées, ayant des fenêtres sans vitres, des toits à moitié découverts. Rappelez vous les figures, ayant à peine le caractère de l’humanité, montrant à chaque porte une peau jaune, perçant au travers d’une couche de noir, occasionnée par le charbon de terre; une foule d’enfans en guenilles; les ponts et les maisons tapissés de haillons; enfin, représentez-vous l’asyle de la faim, de la coquinerie, de l’effronterie qu’inspire la misère générale , et vous vous rappellerez Liège, et vous aurez une image de Newport; et cependant ces deux places sont dans une situation heureuse pour le commerce, et dans un terrein qui n’est pas infertile. Mais à Liège , les productions du pays servent à contenter les fantaisies d’une cinquantaine de fainéans ecclésiastiques, qui, profitant des antiques préjugés religieux, se vautrent dans les plaisirs, au milieu de malheureux qui meurent de faim (1). A Newport, le peuple, trompé par deux ou trois fripons , a lui même causé sa misère, et détruit les bienfaits dont la nature l’avoit gratifié.
(1) Lorsque j’écrivois ces ligne, j’étais loin de prévoir la révolution de Liège. La liberté y déploye ses drapeaux. Fasse le Ciel qu’elle triomphe et achève son ouvrage! »
Nouveau voyage dans les Etats-Unis de l’Amérique Septentrionale fait en 1788, J.P. Brissot, Paris, 1791.