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Panorama de Liège depuis le pied de la citadelle, par Alexandre Dumas

13 novembre 2007

« Ainsi, de ce point situé au pied de la citadelle, j’avais, à mon extrême gauche, Herstal, le berceau des rois de la seconde race, où naquit Pépin le Gros, père de Charles Martel et grand-père de Pépin le Bref, et à mon extrême droite, le château de Ranigule, d’où Godefroy de Bouillon partit pour la Terre-Sainte.

Liège, St-Barthelemy

Liège, St-Barthelemy

Puis, encadrés entre ces deux grands souvenirs, toujours en allant de gauche à droite, du nord à l’ouest au delà de l’Ourthe, le point d’où Boufflers bombarda la ville en 1691 : puis, de ce côté de la Meuse, presqu’à mes pieds, au bout de la rue Hors-Château, l’église de Saint-Barthélémy, la plus vieille de Liège ; puis en reportant mes yeux sur l’Ourthe, le pont d’Amercœur, où le duc de Bourgogne fit jeter les bourgeois révoltés, et qui a gardé de ce triste fait son nom douloureux.

Au delà de ce pont, le faubourg d’où Dumouriez,en 92, délogea les impériaux, et que ceux-ci brûlèrent en se retirant, et qui, rebâti par le premier consul, conserva quelque temps le nom de faubourg Bonaparte, puis reprit celui de faubourg d’Amercœur, la vieille catastrophe ayant laissé plus de souvenir que le bienfait récent : puis sur le quai, au-dessous de l’église Saint-Barthélémy, la maison du seigneur Curtius, avec ses trois cent soixante-cinq fenêtres, son œsopée complète, et sa tradition diabolique.

Le palais de justice, autrefois le palais du prince évêque, avec sa belle cour entourée de colonnes du XIVe siècle, et son portail de Guillaume de Lamark, le fameux Sanglier des Ardennes, sculpté sur le quatrième pilier à droite, en entrant par la place Saint-Lambert. Puis, en plongeant au delà de l’Université, entre le séminaire et le faubourg d’Avroy-Saint-Jacques, la merveille de Liège, avec son architecture à la fois gothique et arabe, Saint-Paul, devenue cathédrale depuis 1793, époque à laquelle elle a succédé à Saint-Lambert, l’ancienne métropole, qui tomba comme tombaient les reines en ce temps-là, abattue par le peuple.

Saint-Jean et sa tour byzantine, la maison de Warfusée, de sanglante mémoire, dont il ne reste, derrière la Meuse, que la poterne par laquelle entrèrent les Espagnols. Sur la même ligne et au delà du faubourg Saint-Gilles, les bénédictins de Saint-Laurent, qu’il ne faut pas confondre avec ceux de Saint-Maur, les derniers, fameux par leurs chroniques
historiques, et les premiers par leur chronique scandaleuse.

Puis l’église Saint-Martin ; la première où, sur la prière d’une religieuse nommée sœur Julienne, qui avait rêvé voir la lune partagée en deux, le pape permit l’institution de la Fête-Dieu, qui se répandit sur tout le monde chrétien, et qui ne s’est encore retirée que de France. Enfin, la maison de campagne où l’évêque Henry de Gueldre se vantait d’avoir fait vingt-neuf bâtards en une année, et qui de cette prouesse monacale a conservé le nom de bâtarderie. »

Impressions de voyage, Alexandre Dumas, 1851

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Liège au 20ème siècle

Alexandre Dumas à l’Hotel d’Albion à Liège

22 septembre 2007

Ce billet fait suite à l’arrivée de Dumas à Liège

liege_hotelanglais.jpg« Je descendis de l’omnibus qui repartit au galop, et je me trouvai, la canne à la main, devant l’hôtel d’Albion.

J’attendis un instant pour voir si quelqu’un ne viendrait pas au-devant de moi; mais voyant que la porte restait fermée, je pris le parti de me présenter moi-même. J’entrai donc, et je demandai à souper et une chambre.
L’hôtesse dormait dans un coin de la cuisine; elle releva la tête et me regarda d’un air si parfaitement étonné, que je crus que j’avais pris une porte pour une autre, et que j’étais entré chez quelque honnête bourgeoise, où je n’avais nullement droit de faire une pareille demande. Mais en jetant les yeux autour de moi, je reconnus, à la façon dont étaient disposés la batterie de cuisine et les fourneaux, que je n’avais rien à me reprocher.
— Monsieur désire quelque chose ? me demanda l’hôtesse.
— Mais sans doute, je désire quelque chose.
— Alors, si monsieur veut dire ce qu’il désire ?
Je crus que je ne m’y étais pas pris assez poliment, et que la compatriote de Mathieu Laensberg voulait me donner une leçon de courtoisie.
— D’abord, répondis-je, je désire savoir des nouvelles de votre santé.
— Monsieur est bien bon, et la sienne?
— La mienne n’est pas mauvaise, seulement j’ai grand’-faim.
— Monsieur est Belge ? reprit l’hôtesse sans avoir l’air de comprendre l’allusion adroite par laquelle je revenais à mon affaire.
— Pardon, je suis Français.
— Ah ! mille excuses ! c’est que nous n’aimons pas beaucoup loger les Flamands, nous autres Wallons. Mais si monsieur est Français, c’est autre chose : il n’a qu’à parler.
— Eh bien! je désirerais souper, parole d’honneur!
— Oh ! il est bien tard pour souper.
— Raison de plus, ce me semble.
— A la place de monsieur, continua la bonne femme d’un air détaché, je ne souperais pas.
— Pourquoi cela? s’il vous plaît!
— Monsieur déjeunerait mieux demain matin.
— Je compte très bien déjeuner demain matin, même en soupant ce soir; voyons, qu’y a-t-il dans ce garde manger?
— Ah ! dit l’hôtesse sans bouger de sa place, si monsieur était venu avant-hier! C’était avant-hier qu’il était bien garni, le garde-manger! C’était jour de marché avant-hier, de sorte que nous avions des poulets, des canards, des perdrix.
— Ecoutez, dis-je en l’interrompant, je ne vous demande pas un souper à trois services. Si vous n’avez pas de poulets, pas de canards… (je m’arrêtais entre chaque volatile que je nommais) pas de perdrix… Non? pas de perdrix… (l’hôtesse secoua la tête.) Eh bien ! si vous n’avez ni poulets, ni canards, ni perdrix, vous avez bien un morceau de bœuf ou un morceau de veau froid, hein?
— Oh ! monsieur, si ç’avait été hier, me répondit l’hôtesse; oh! oui, il y avait un fier morceau de bœuf et un joli morceau de veau! parce qu’hier, voyez-vous, c’était jour de boucherie.
— Eh bien! mais, de ces deux morceaux là, il ne vous reste pas de quoi en faire un?
— Absolument rien ; un Flamand a mangé le reste il n’y a pas plus de deux heures. Vous n’êtes pas Flamand, vous!
— Mais non, je vous ai déjà dit que j’étais Français.
— Ah ! c’est vrai ! C’est que nous ne pouvons pas les souffrir, les Flamands, nous autres Wallons.
J’espérai en tirer quelque chose en disant comme elle.
— Effectivement, repris-je, c’est un triste peuple que le peuple flamand; cependant il a cela de bon, que dans ses auberges, à quelque heure qu’on y arrive, on trouve toujours quelque chose à manger.
— Eh bien ! mais, est-ce que vous croyez qu’on meurt de faim chez nous?
— On ne meurt jamais de faim, répondis-je, en faisant, pour économiser le dialogue qui commençait à traîner un peu en longueur, une demande de ma réponse ; on ne meurt jamais de faim quand on a du beurre et des œufs.
— Oh! ici dit l’hôtesse, c’est le pays du bon beurre, le pays wallon !
— A la bonne heure !

— Malheureusement, on a l’habitude ici de ne le battre qu’une fois par semaine.
— Et quel jour?
— Le vendredi.
— Nous sommes?
— Le mercredi.
— Ainsi, vous n’avez plus que du beurre fort.
— Nous n’en avons plus du tout; ah! bien oui ! jamais nous ne gardons de beurre fort. Notre beurre frais est trop bon pour qu’il en reste !
— Alors, que voulez-vous ! donnez-moi des œufs : je m’en contenterai.
— Ce matin, j’en avais quatre douzaines.
— Je n’ai pas besoin de tout cela ; faites m’en cuire cinq ou six à la coque.
— Il faut vous dire que nous autres gens du pays wallon nous faisons des élèves.
— Des élèves en chirurgie?
— Oh! je vois bien que vous n’êtes pas Flamand! vous êtes farceur. Tant mieux, parce que nous autres Wallons, voyez-vous, nous ne pouvons pas…
— Bon, bon ! c’est dit : vous ne pouvez pas souffrir les Flamands, n’est-ce pas? Vous avez raison ; revenons à nos œufs.
— Eh bien ! les œufs, je les ai donnés à couver.

— Que le diable vous emporte ! Comment, il ne vous en reste pas un seul ?
— Ah ! si fait, je crois qu’il me reste un œuf de dinde.
— Un œuf de dinde n’est point méprisable; où est-il, cet œuf?
— Il est tout frais pondu, celui-là ; il est de ce matin.
— Bon.
— Avec cela, vous allez souper comme un Dieu. Tenez, continua l’hôtesse en ouvrant la porte de l’armoire, est-il gros!
En effet, il était de la taille d’un œuf d’autruche.
— Allons vite, une bouilloire, je meurs de faim.
— Pardi! ce ne sera pas long, allez; il y a toujours de l’eau devant le feu ici. Tiens, tiens ! ajouta l’hôtesse en prenant
l’œuf.
— Qu’y a-t-il ? demandai-je effrayé de son air stupéfait.
— C’est encore ce gueusard de Valentin qui m’aura fait ce tour-là !
— Quel tour?
— Il est soufflé !
— Qui est-ce qui est soufflé?
— Pardine, l’œuf!
— Comment, soufflé?
— Oui, soufflé. Imaginez donc que ce petit gueux-là c’est pire qu’une belette! il est fou des œufs : quand il peut en dénicher un, c’est fini ; il lui fait un trou à chaque bout avec une épingle, il le souffle dans sa main et il le gobe tout chaud. C’est excellent pour l’estomac les œufs tout chauds.
— Comment! et le misérable a gobé celui-là?
— Oh ! mon Dieu ! oui.
— Un œuf de dinde!
— Tout de même. Aussi faut-il voir comme il profite ! il est fort comme un Turc. Oh! c’est un bien bel enfant, allez! Vous le verrez demain.
— Oh ! oui, je demande qu’on me le présente, je lui ferai mon compliment. Quelle canaille !
— Eh! madame l’hôtesse, dit un portefaix en ouvrant la porte de la rue, voilà les effets du monsieur Belge qui est descendu chez vous.
Je reconnus ma malle à la lueur de la lampe, et j’allai à la porte; le conducteur de l’omnibus ne m’avait point trompé : tout y était.
— Vous êtes donc Belge? me demanda l’hôtesse.
— Eh ! non, vraiment, je ne suis pas Belge, je suis Français. Voulez-vous voir mon passeport?
— Alors, pourquoi dis-tu que monsieur est Belge? reprit l’hôtesse en s’adressant au portefaix.
— Dame! moi, je dis qu’il est Belge parce qu’il vient de Bruxelles.
— Mais au fait, dit l’hôtesse, comme frappée de la justesse de ce raisonnement.
Je vis que les choses tournaient mal pour moi, et qu’après n’avoir pas eu de souper, je pourrais bien n’avoir pas de lit. Je me hâtai donc de tirer mes malles dans la cuisine et de payer le commissionnaire. Alors, appelant la servante, je lui dis de porter mes effets à ma chambre.
— Votre chambre? En avez-vous une? me répondit la fille.
— Je n’en ai pas encore, mais j’espère que votre maîtresse voudra bien m’en donner une.
— Vergenie, conduisez monsieur au numéro trente-cinq, dit l’hôtesse.
— Voulez-vous venir, monsieur le Flamand, me dit la fille en prenant la chandelle,
— Au moins, dis-je, en poussant un gros soupir, faites-moi porter dans ma chambre un morceau de pain, de l’eau et du sucre.
— On vous portera tout ce qu’il vous faudra, soyez tranquille.
— Allons, bonsoir.
— Bonsoir. Sont-ils difficiles ces Flamands!
J’avais du malheur : A Bruxelles je ne pouvais pas passer pour un Belge, et à Liége on ne voulait pas me reconnaître pour un Français. »


Impressions de voyage, Alexandre Dumas, 1851


Dumas à Liège, autres billets
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Liège au 19ème siècle

Alexandre Dumas, rue Pierreuse à Liège

22 août 2007

liege_pierreuse_b.jpg« [..]je m’arrêtai un jour à Liège ; j’avais là, aux archives de la ville, un ancien écolier près duquel je ne voulais pas passer sans lui faire ma visite. Il demeurait rue Pierreuse : de la terrasse de sa maison, et en faisant connaissance avec le vin du Rhin, je pus donc voir la ville se dérouler sous mes pieds, depuis le village d’Herstall, où naquit Pépin, jusqu’au château de Ranioule, d’où Godefroy partit pour la Terre-Sainte. Cet examen ne se fit pas sans que mon écolier me racontât, sur tous ces vieux bâtiments, cinq ou six légendes plus curieuses les unes que les autres ; une des plus tragiques est, sans contredit, celle qui a pour titre le Banquet de Varfusée, et pour sujet le meurtre du bourgmestre Sébastien Laruelle, dont une des rues de la ville porte encore aujourd’hui le nom.  »

in Le Maître d’Armes, chap. I.


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Liège au 19ème siècle

L’arrivée à Liège d’Alexandre Dumas (1838)

17 août 1838

« Le lendemain, nous nous confiâmes de nouveau, non pas à un cocher ivre et à deux chevaux bien repus, mais à un mécanicien, à deux rails et à une trentaine de sacs de charbon, moyennant lesquels nous fimes les dix-huit lieues qui séparent Liège de Bruxelles en quatre ou cinq heures. Quand je dis les dix-huit lieues, je me trompe ; nous n’en fîmes guère que dix-sept, attendu que le chemin de fer s’arrête à je ne sais combien de myriamètres de Liège. Là, nous tombâmes au milieu d’une armée d’omnibus, dont les cochers se précipitèrent sur nous. Après avoir été une dizaine de minutes tiraillé en tous sens, je restai la propriété de l’un d’eux qui m’enfourna dans sa machine ; je criais comme un dératé après mes malles, mes paquets et mes livres, et je voulais sauter à toute force à bas du fourgon : malheureusement j’étais juste le quatorzième, de sorte que sans s’inquiéter aucunement de mes réclamations, l’homme au marchepied ferma la porte, poussa un ressort, cria au cocher : Complet! et nous partîmes au galop pour la patrie de Malherbe, de Régnier et de Grétry. Après avoir roulé ainsi trois quarts d’heure à peu près, pendant la dernière partie desquels il s’était arrêté pour donner la liberté à quatre ou cinq de mes compagnons, l’omnibus fit une nouvelle pause, l’homme du marchepied rouvrit la portière, et s’adressant à moi :

– C’est ici votre hôtel, me dit-il.
— Ah ! Et comment s’appelle mon hôtel ?
— L’hôtel d’Albion.
— Et mes paquets?
— Ils viendront dans un instant.
— Mais comment les reconnaîtra-t-on?
— Vos noms sont dessus ?
— Oui.
— Eh bien ! soyez tranquille.
Je descendis de l’omnibus qui repartit au galop, et je me trouvai, la canne à la main, devant l’hôtel d’Albion. »

Impressions de voyage, alexandre Dumas, 1851



La suite dans le billet « Dumas à l’Hotel d’Albion »

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